3 QUESTIONS À RICHARD YUNG, SÉNATEUR REPRÉSENTANT LES FRANÇAIS ETABLIS HORS DE FRANCE, PRÉSIDENT DU COMITÉ NATIONAL ANTI- CONTREFAÇON (CNAC)
La loi du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon vise à enrayer un fléau qui nuit gravement à l’économie française et met en danger la santé et la sécurité des consommateurs. À cette fin, elle prévoit la mise en place de nouveaux outils destinés à garantir la réparation intégrale des préjudices, démanteler plus facilement les réseaux de contrefaçon, faciliter l’établissement de la preuve de la contrefaçon et renforcer les capacités d’intervention des services douaniers. Le sénateur Richard Yung (Français établis hors de France), président du Comité national anti-contrefaçon (CNAC), a accepté de répondre à nos questions.
Votre proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon a été adoptée définitivement et à l’unanimité le 26 février dernier. La loi n° 2014-315 a été publiée au Journal officiel du 12 mars. Quelles en sont les principales dispositions ?
Le renforcement des dédommagements civils accordés aux victimes de contrefaçon constitue le cœur du nouveau dispositif législatif, qui part du constat que la contrefaçon demeure une infraction lucrative, et cela malgré l’application de la loi du 23 octobre 2007.
Les juridictions auront désormais l’obligation de prendre en considération, de manière distincte, tous les chefs de préjudice introduits par la loi de 2007 (conséquences économiques négatives, préjudice moral, bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits). Elles devront aussi nécessairement tenir compte des économies d’investissements (intellectuels, matériels et promotionnels) réalisées par le contrefacteur.
Par ailleurs, lorsque la partie lésée demandera à ce que le préjudice soit réparé selon la méthode dite « forfaitaire », les dommages et intérêts seront obligatoirement supérieurs à ce qu’aurait eu à payer le contrefacteur s’il avait été titulaire d’une licence d’exploitation.
Ces dispositions permettent de garantir la réparation intégrale du préjudice subi par le titulaire de droits. Elles contribueront aussi à enrayer la pratique de la « course aux tribunaux ». Actuellement, la faiblesse du montant des condamnations prononcées par la justice française pousse en effet de nombreux demandeurs à se tourner vers d’autres systèmes juridictionnels plus favorables (Allemagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas, etc.).
La nouvelle loi vise également à démanteler plus facilement les réseaux de contrefaçon. Depuis 2007, le juge peut ordonner aux contrefacteurs, aux acheteurs, aux fabricants, aux transporteurs et aux intermédiaires de produire des informations concernant l’origine et les réseaux de distribution des marchandises ou des services contrefaisants. Ce droit à l’information peut désormais être mis en œuvre avant la condamnation au fond pour contrefaçon, y compris par le juge des référés. De plus, le champ des informations dont la communication peut être ordonnée par le juge a été élargi.
Afin de faciliter l’établissement de la preuve de la contrefaçon, la nouvelle loi réforme la procédure de saisie-contrefaçon, qui permet à un huissier de justice de procéder à la description détaillée ou à la saisie réelle des produits soupçonnés de constituer des contrefaçons. L’huissier est désormais autorisé à procéder à une simple description détaillée des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer les biens contrefaisants. Par ailleurs, le juge pourra ordonner la saisie réelle de tout document relatif aux produits soupçonnés de contrefaçon, y compris en l’absence de ces produits.
Les douanes sont à l’avant-poste de la lutte contre la contrefaçon. C’est la raison pour laquelle leurs capacités d’intervention ont été considérablement renforcées. Ainsi, leurs compétences en matière d’infiltration et de de « coups d’achat » ont été étendues à l’ensemble des marchandises contrefaisantes. La procédure d’infiltration consiste, pour un douanier doté d’une fausse identité, à s’installer dans le rôle de trafiquant pour collecter des renseignements utiles à la réalisation d’investigations. Quant à la procédure dite du « coup d’achat », elle consiste à procéder à l’acquisition d’une certaine quantité de produits soupçonnés de constituer des contrefaçons afin de vérifier si la contrefaçon est ou non avérée.
De plus, le contrôle des locaux des opérateurs postaux et des entreprises de fret express pourra être mis en œuvre plus facilement, dans le respect des droits et libertés.
Afin d’améliorer la détection des produits contrefaisants, la nouvelle loi dote les douanes d’un fichier informatisé rassemblant des données transmises par les prestataires de services postaux et les entreprises de fret express. Seront recueillies et traitées les informations concernant les envois nationaux ainsi que les données relatives aux flux intra-européens et aux flux entre la métropole et les outre-mer. Ce dispositif a été strictement encadré (respect de la loi dite « informatique et libertés » ; conservation des données dans un délai maximal de deux ans ; exclusion des données personnelles ; accès réservé aux seuls agents habilités ; etc.).
Les ventes sur internet de produits contrefaisants ont explosé au cours des dernières années. Quelles sont les mesures prévues pour lutter contre ce fléau ?
Le renforcement de la procédure dite du « coup d’achat » devrait permettre d’améliorer l’action douanière sur la toile. Il en va de même du renforcement du contrôle du fret express et du fret postal, ces deux vecteurs étant de plus en plus fréquemment utilisés pour acheminer des marchandises contrefaisantes achetées via internet.
Cela étant, d’autres mesures devront être prises pour lutter le plus en amont possible contre la contrefaçon numérique. Lors de sa dernière assemblée générale, le CNAC a décidé de prendre part à ce vaste chantier en élaborant une feuille de route qui sera remise au Gouvernement et qui comprendra toute une série de propositions concrètes. Il convient en particulier de se pencher sur le rôle des intermédiaires de paiement en ligne.
Les chartes de bonnes pratiques doivent également être développées car elles constituent un outil précieux pour mobiliser tous les acteurs concernés par la lutte anti-contrefaçon.
Par ailleurs, nous devons nous appuyer sur Cyberdouanes, qui, depuis 2009, est l’acteur public principal de la lutte contre la contrefaçon numérique.
Au niveau européen, un cadre normatif s’avère nécessaire. La France devrait, par exemple, proposer de modifier la directive dite « e-commerce » afin de créer, aux côtés des hébergeurs et des éditeurs, une troisième catégorie d’acteurs, celle des « éditeurs de services » (sites collaboratifs dits « 2.0 », sites de vente aux enchères, etc.). Ces derniers devraient être soumis à un régime de responsabilité intermédiaire, plus clément que celui de l’éditeur mais plus sévère que celui de l’hébergeur.
La nouvelle législation suffira-t-elle à enrayer le phénomène de la contrefaçon ?
La nouvelle loi vient compléter un arsenal juridique déjà très étoffé. Sa mise en œuvre doit s’accompagner d’autres initiatives, outre la création de nouveaux outils pour lutter plus efficacement contre la cyber-contrefaçon.
À défaut de renforcer encore davantage la spécialisation des juridictions civiles en matière de propriété intellectuelle, il conviendrait d’avancer dans le sens d’une plus grande spécialisation des magistrats. Je sais qu’un tel mouvement n’est pas « naturel » aux yeux de la chancellerie et du Conseil supérieur de la magistrature, qui restent attachés aux principes de la pluridisciplinarité et de la mobilité des magistrats. Cependant, il serait opportun, d’une part, d’améliorer la formation initiale et continue des magistrats dans le domaine de la propriété intellectuelle et, d’autre part, de confier les dossiers à un nombre limité de magistrats spécialisés, qui, de surcroît, bénéficieraient d’une plus grande stabilité dans leur emploi. Une telle réforme permettrait d’homogénéiser les jurisprudences, de renforcer la sécurité juridique et donc de rendre notre système judiciaire encore plus attractif. Ces enjeux sont d’autant plus importants que nous sommes à la veille de la mise en place de la juridiction unifiée du brevet, dont le siège de la division centrale se trouvera à Paris.
Par ailleurs, pour être réellement efficace, la bataille contre la contrefaçon doit être menée de concert avec nos partenaires étrangers. D’où la nécessité de renforcer la coopération internationale. Là encore, le CNAC peut jouer un rôle essentiel. Plusieurs initiatives sont ainsi prévues cette année, dont une réunion des comités nationaux anti-contrefaçon du pourtour méditerranéen, qui se tiendra à Rome à l’automne prochain.
Sur le plan européen, le paquet « marques » devrait permettre de neutraliser la jurisprudence dite « Nokia-Philips », qui a mis un terme à la possibilité pour la douane de retenir les marchandises présumées contrefaisantes qui ne font que transiter par le territoire de l’UE. De plus, la lutte contre la contrefaçon devrait être inscrite à l’agenda de la future Commission.
Enfin, la lutte contre la contrefaçon nécessite un gros effort de pédagogie et de sensibilisation. Il faut tout d’abord faire connaître les grandes lignes de la nouvelle loi en sollicitant tous les acteurs de la lutte anti-contrefaçon et en utilisant le vecteur internet. À cet égard, le CNAC lancera prochainement une grande campagne de communication sur la toile.
Il importe aussi de sensibiliser les plus jeunes aux risques liés à la contrefaçon en menant notamment des actions dans les établissements scolaires.
Les associations de défense des consommateurs devraient être étroitement associées à tout ce travail.