Le 1er avril dernier, les sénateurs socialistes déposaient un projet de loi visant à instaurer une « taxe impression 3D » dans le cadre de la redevance copie privée. Déjà appliquée pour d’autres supports comme les disques durs, les clefs USB ou les cartes SD, la taxe aurait vocation à dédommager les éventuels manques à gagner pour les artistes, designers et autres créateurs qui verraient leurs créations copiées sans autorisations grâce à l’impression 3D.
Pour en savoir plus, 3Dnatives est allé à la rencontre du sénateur Richard Yung, à l’initiative du projet de loi et président du Comité National Anti-Contrefaçon (CNAC).
3DN : Monsieur le Sénateur, quand avez-vous entendu parler d’impression 3D pour la première fois ?
J’ai commencé à m’intéresser à ce sujet peu de temps après que le Gouvernement m’a confié la présidence du CNAC, en juillet 2013. Je suis fasciné par cette technologie révolutionnaire, dont la presse se fait régulièrement l’écho. La lecture de plusieurs rapports très intéressants – dont celui que l’Institut national de la propriété industrielle a publié en septembre 2014 – m’a permis de mieux appréhender les enjeux liés à son développement.
3DN : Il y a quelques semaines, vous présentiez un texte de loi visant à instaurer une « taxe impression 3D », à quoi correspondait-elle exactement ?
À l’occasion de la discussion au Sénat du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, j’ai présenté un amendement visant à compenser le préjudice subi par les titulaires de droit de propriété intellectuelle du fait des copies privées d’objets tridimensionnels. Concrètement, j’ai proposé d’étendre le principe de la rémunération pour copie privée aux outils de reproduction en trois dimensions (imprimantes 3D, scanners 3D). Je précise que la rémunération pour copie privée prend la forme d’une redevance prélevée à la source auprès des fabricants et importateurs de supports d’enregistrement (DVD-R, CD-R, clés USB, cartes mémoires, disques durs externes, smartphones, tablettes).
Ma proposition rejoignait celle que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a récemment formulée dans un avis adopté le 12 mars dernier.
J’ai retiré mon amendement car le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, Emmanuel MACRON, m’a dit vouloir « trouver le cadre adéquat […] d’ici à la fin de l’année ». Je suis actuellement en contact avec son cabinet et les services compétents de Bercy.
3DN : Ne pensez-vous pas qu’il soit un peu tôt et que cela puisse être un frein au développement de la technologie ?
Loin de moi l’idée d’entraver le développement de l’impression 3D. Cette formidable technologie offre de nombreuses opportunités pour les professionnels et les particuliers. À l’instar du Président de la République et du Gouvernement, je souhaite que la France favorise l’émergence de champions capables de conquérir des parts de marché à l’international.
En présentant mon amendement, je voulais simplement ouvrir le débat sur les défis posés par une technologie qui est née au début des années 1980 et qui se développe à un rythme très rapide.
Force est de constater que l’utilisation des outils de reproduction en trois dimensions n’est plus seulement réservée à l’industrie et au prototypage. Elle est désormais accessible au grand public, les particuliers pouvant acquérir des imprimantes pour un prix relativement modique.
Tout en me réjouissant de cette démocratisation de l’impression 3D, je crains qu’elle n’accroisse les risques d’atteinte aux droits de propriété intellectuelle. En effet, la réplication à l’infini d’objets protégés par des titres de propriété intellectuelle (droit d’auteur, marques, dessins et modèles, brevets) est susceptible de faciliter la commission d’actes de contrefaçon par des particuliers. Le défi que nous devons relever consiste à définir un cadre juridique permettant de garantir le respect de la propriété intellectuelle sans nuire au développement d’une technologie porteuse d’innovation, de croissance et d’emplois.
3DN : Un dernier mot pour nos lecteurs ?
Afin d’approfondir la réflexion sur les enjeux liés à l’impression 3D, le CNAC va échanger avec les professionnels, les utilisateurs et les administrations publiques concernées par ce dossier. À l’issue de ses travaux, le comité transmettra des propositions au Gouvernement. Je souhaite que toutes les pistes puissent être explorées (régulation de l’activité des plateformes en ligne, encadrement de l’utilisation des fichiers d’impression, etc…).
Diplômé de Sciences Po Paris et titulaire d’un DES en Sciences Économiques de l’Université Paris-Panthéon, Richard Yung a occupé divers postes au sein du CNRS, de l’Institut National de la Propriété Industrielle, ainsi qu’à l’Office Européen des Brevets. En 2004, il est élu au Sénat.
(Interview publiée sur le site d’information 3Dnatives le 13 juin 2015)