À Pékin, la contrefaçon de produits de luxe tente de se dissimuler davantage. Le problème devient aussi sino-chinois. Reportage.
En Chine, la contrefaçon n’est plus tout à fait ce qu’elle était. Pour s’en convaincre, il suffit de se rendre au sud de Pékin, à la recherche de ce marché parfois surnommé « knock knock market » par les étrangers. Pour y pénétrer, on doit, comme son nom anglais l’indique, frapper à une porte. Encore faut-il trouver ladite porte.
Tout près du « marché aux perles », on pénètre donc au deuxième sous-sol d’un bâtiment, à la recherche de cette caverne d’Ali Baba dont l’existence est connue grâce au seul bouche à oreille. Les questions posées aux commerçants du secteur restent le plus souvent sans réponse. « Je ne sais pas. Je ne sais absolument rien », lâche cette femme au regard très méfiant. « Je ne suis pas certain que ce soit ouvert, vu les contrôles en ce moment », dit un autre. « Si vous ne connaissez personne pour vous y introduire, vous n’y arriverez pas », prévient un troisième. « Le marché pour les étrangers ? C’est par là », indique enfin une vendeuse plus coopérative.
Le nouveau sac Chanel à 250 euros
Par là ? C’est une sorte de local à poubelles, mais après avoir rebroussé chemin, on aperçoit deux Américaines qui en surgissent, les bras pleins de sacs plastiques noirs. Il faut donc persévérer, et franchir un rideau de plantes en plastique pour enfin pénétrer dans cet antre de la contrefaçon. Lequel s’avère à la hauteur de sa réputation sulfureuse. Dans la salle des sacs à main, toutes les grandes marques sont exposées, avec des cuirs qui semblent de bonne qualité, des finitions en apparence normales, et toujours le souci de la nouveauté. Ce tout récent modèle de Chanel, vendu plus de 4.000 euros en Chine, est ici accessible pour 250 euros environ. Aucune grande marque mondiale n’est absente. Quelques rares clientes déambulent, les yeux écarquillés, suivies à la trace par des vendeuses qui restent sur le qui-vive, aidées par des caméras de surveillance. « Nous ne laissons entrer que des étrangères que l’on connaît ainsi que leurs amies », précise la vendeuse. Surtout, ne pas faire trop de publicité .
La même impression de dissimulation se retrouve dans les salles voisines. Lunettes, vêtements, montres des plus grandes marques cachées derrière une porte constamment refermée : il y en a pour tous les goûts, mais il faut montrer patte blanche. A en juger par la prudence de ces vendeurs, la contrefaçon la plus haut de gamme ne s’étale plus, en Chine, comme il y a cinq ans. Les autorités veulent changer l’image du pays : plusieurs marchés très populaires de la capitale, véritables temples historiques de la contrefaçon, sont en train d’être reconstruits, afin d’établir une image de qualité. Mais il subsiste une hypocrisie fondamentale : au marché de la soie, la contrefaçon de qualité moyenne pullule. La hausse des coûts en Chine ne rend plus la différence de prix aussi flagrante qu’auparavant. Dans ce contexte, les étiquettes apposées sur les articles mettant en garde, en anglais, contre les faux produits et invitant à appeler un numéro de téléphone en cas de soupçons, ont de quoi faire grincer les dents des sociétés qui continuent à subir ce juteux business.
Progrès… sur certains points
« C’est un fait : en matière de lutte contre la contrefaçon, la Chine a progressé sur certains points », note Franck Desevedavy, cofondateur du réseau d’avocats Asiallans. Dans tous les domaines sensibles pour la santé publique, comme l’alimentation ou la pharmacie, les améliorations sont nettes. Mais la volonté politique n’est pas suffisante, comme en témoigne le maintien, au cœur de la capitale, de tels lieux de vente. Surtout, juge le même avocat, « le commerce en ligne demeure une organisation à flux tendu d’écoulement de contrefaçon ». Alibaba, le géant chinois du e-commerce, nouvelle star de la bourse de New York, est au cœur de la controverse. Le groupe Kering, exaspéré de voir proliférer sur le réseau du marché en ligne des faux, a intenté contre lui une action en justice sur le territoire américain. Et même les autorités centrales chinoises l’ont publiquement mis en cause.
A moyen terme, il faudra bien que cette zone de non-droit disparaisse progressivement. Car le problème devient sino-chinois. « Dans les contentieux portant sur des questions de propriété intellectuelle, la proportion de plaintes émanant de groupes chinois a explosé et est devenue ultra-majoritaire », explique l’avocat. Rien de tel que de subir soi-même un fléau pour s’attaquer sérieusement à sa résorption.
Gabriel Grésillon (correspondant à Pékin)
Les Échos (31/08/15)