Le Journal du Parlement vient de consacrer un numéro spécial à la Douane française.
Vous trouverez, ci-dessous, l’entretien que j’ai accordé à cette revue.
Avec près de 8 millions de produits contrefaisants saisis en 2015, la douane maintient ses résultats à très haut niveau. Si les services douaniers ont vu leurs pouvoirs renforcés, notamment pour lutter contre la contrefaçon numérique, le rapprochement des législations des États membres sur les marques devrait également contribuer à faciliter leur travail.
Que représente la contrefaçon, peut-on évaluer les conséquences de ce fléau sur l’économie?
La contrefaçon demeure un véritable fléau. Aucun secteur économique n’est aujourd’hui épargné par cette activité délictuelle particulièrement lucrative. Les produits de grande consommation sont désormais touchés, au même titre que les produits de luxe. Même les tickets restaurant et les timbres-poste sont la cible des contrefacteurs.
La contrefaçon fragilise notre économie. Elle menace la croissance, la compétitivité et l’emploi. Les entreprises voient leur chiffre d’affaires et leurs bénéfices amputés. En France, on estime le manque à gagner à six milliards d’euros de chiffre d’affaires. La contrefaçon ternit la réputation des marques, nuit à l’investissement et décourage la recherche et l’innovation. Chaque année, elle provoque la destruction d’environ 40 000 emplois dans notre pays. Pour les États, elle représente aussi un coût, qui se traduit par des pertes fiscales. Les produits contrefaisants peuvent aussi mettre en danger la santé et la sécurité des consommateurs.
J’ajoute que la contrefaçon porte atteinte à l’environnement et favorise le travail clandestin et l’exploitation des êtres humains.
Il faut également avoir à l’esprit le fait que cette activité alimente la criminalité organisée et le terrorisme. Selon les douanes, « la contrefaçon représenterait un tiers des revenus du crime organisé, soit environ 250 milliards de dollars, ce qui place ce trafic au deuxième rang des activités criminelles ». Par ailleurs, d’après un récent rapport publié par l’Unifab, « la contrefaçon constitue aujourd’hui un mode de financement privilégié des groupes terroristes ». Pour ne prendre qu’un exemple, les auteurs du massacre de Charlie Hebdo, les frères Kouachi, s’adonnaient au commerce de chaussures de sport de contrefaçon.
Afin d’évaluer plus précisément l’impact de la contrefaçon sur l’économie française, Bercy a mis en place un groupe de travail, en partenariat avec le CNAC et l’Unifab. De son côté, l’Observatoire européen des atteintes aux droits de propriété intellectuelle a réalisé plusieurs études relatives à l’incidence économique de la contrefaçon dans un certain nombre de secteurs à travers toute l’UE.
De quels moyens disposent les services douaniers pour lutter? Faut-il les renforcer?
Les agents des douanes sont à l’avant-poste de la lutte contre la contrefaçon. Ils disposent de nombreux pouvoirs (retenue, saisie, sanctions, etc.), qui ont été renforcés par la loi du 29 octobre 2007 et la loi du 11 mars 2014. Cette dernière a notamment étendu la retenue et la saisie des marchandises contrefaisantes à l’ensemble des droits de propriété intellectuelle.
L’action des services douaniers en matière de lutte contre la contrefaçon repose également sur le nouveau règlement douanier européen, qui prévoit notamment une procédure de destruction simplifiée des marchandises contrefaisantes.
Avec l’explosion du commerce en ligne la fraude évolue, comment détecter des produits contrefaisants transportés par voie postale ou fret express?
Selon l’Office de l’UE pour la propriété intellectuelle et Europol, Internet est devenu « le canal de distribution par excellence des marchandises de contrefaçon ». Pour lutter contre la contrefaçon numérique, les douanes disposent du service Cyberdouane, dont j’ai pu mesurer l’efficacité et le très grand professionnalisme à l’occasion d’une visite effectuée en 2015.
Afin d’améliorer l’action douanière sur la toile, la loi de 2014 a étendu les compétences des douanes en matière de « coups d’achat » à l’ensemble des marchandises contrefaisantes. Cette procédure consiste à réaliser l’acquisition d’une certaine quantité de produits soupçonnés d’être des faux afin de vérifier si la contrefaçon est ou non avérée.
Partant du constat que le fret postal et le fret express sont les vecteurs les plus fréquemment utilisés pour acheminer des marchandises contrefaisantes achetées via Internet, la loi de 2014 a renforcé le contrôle des locaux des opérateurs postaux et des expressistes, dans le respect des droits et libertés.
De plus, afin d’améliorer la détection des contrefaçons, la loi de 2014 a doté les douanes d’un fichier informatisé rassemblant des données transmises par les prestataires de services postaux et les entreprises de fret express. Ce dispositif a été strictement encadré (respect de la loi dite « informatique et libertés » ; conservation des données dans un délai maximal de deux ans ; exclusion des données personnelles ; etc.).
D’autres mesures devront être prises pour lutter le plus en amont possible contre la contrefaçon numérique. Je souhaite la création d’un nouveau statut d’intermédiaire en ligne, distinct des statuts d’hébergeur et d’éditeur. Je me réjouis que le Gouvernement pousse cette idée au niveau européen.
Par ailleurs, afin de renforcer l’implication des intermédiaires de paiement dans la lutte contre la contrefaçon, j’appelle de mes vœux la création d’un guichet unique qui servirait d’interface entre les titulaires de droits et les opérateurs de paiement en ligne. Une autre solution serait d’élaborer une charte entre les acteurs du paiement en ligne et les représentants des titulaires de droits. Je plaide aussi pour une amélioration des procédures de notification et de retrait. Enfin, il conviendrait de s’inspirer des opérations de saisies de noms de domaines pratiquées dans d’autres pays, dont les États- Unis.
Où en est le rapprochement des législations des États membres sur les marques, les pays ont-ils la même rigueur sur ce sujet et comment l’Europe se positionne-t-elle?
La refonte de la directive de 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques et la révision du règlement de 1994 sur la marque communautaire ont récemment abouti. La modernisation du système européen des marques prévoit notamment un renforcement des moyens de lutte contre les marchandises contrefaisantes qui transitent par le territoire de l’UE.
Grâce à la forte implication des douanes françaises, les États membres et le Parlement européen ont neutralisé la jurisprudence de la CJUE dite « Nokia- Philips », qui avait mis un terme à la possibilité pour les douanes de retenir les marchandises présumées contrefaisantes en provenance et à destination d’un pays tiers qui ne sont pas destinées à être commercialisées sur le marché de l’UE. Le contrôle des marchandises en transit/transbordement est à nouveau possible, ce dont je me réjouis.
Les États membres n’accordent malheureusement pas tous la même importance à la lutte contre la contrefaçon. J’en veux pour preuve le fait qu’une coalition d’États membres souhaitait maintenir le droit issu de la jurisprudence « Nokia-Philips ».
Afin de renforcer la protection des droits de propriété intellectuelle, la Commission européenne a présenté, en 2014, un plan d’action qui préconise notamment d’améliorer l’implication des acteurs du numérique dans la lutte contre la contrefaçon.
Ce plan va dans le bon sens. Certaines orientations méritent cependant d’être approfondies. Notre objectif est de sensibiliser les institutions européennes aux idées que nous portons et de promouvoir la mise en place d’un réseau informel des comités nationaux de lutte contre la contrefaçon.