L’an dernier, 13 millions d’internautes ont consommé des contenus illégalement, selon EY.
Un manque à gagner qui affecte l’industrie, mais aussi l’État.
Un coût de 1,36 milliard d’euros. C’est presque assez pour faire sept « Valérian », tourner une petite quarantaine d’années de « Plus belle la vie » ou financer presque tous les investissements effectués dans la production cinématographique en 2015 (1)…
C’est en tout cas l’estimation du manque à gagner lié à la consommation illégale de contenus audiovisuels en France, en 2016, selon EY. Dans cette étude, que « Les Échos » publient en avant-première, le cabinet d’audit et de conseil tente d’analyser les conséquences du piratage pour le secteur audiovisuel et cinématographique.
13 millions de pirates
Premier constat : les « pirates » sont extrêmement nombreux. Au total, 13 millions d’internautes en France, soit quasiment un internaute sur trois (45,2 millions) ont consommé des contenus de façon illégale en 2016, selon les estimations de EY réalisées d’après des données de Médiamétrie (sur le Top 100 des plates-formes de streaming et téléchargement). Ensemble, ils ont consommé 2,5 milliards de films ou séries via du téléchargement ou du streaming – soit quasiment 200 par personne.
EY a interrogé un panel représentatif de 3.000 d’entre eux pour évaluer leur propension à payer les contenus sur la base d’un prix de marché (par exemple 8,20 euros pour un DVD, 4,40 euros pour une vidéo à la demande…), en distinguant les fenêtres de diffusion (salle, DVD, TV payante, etc.).
Les internautes « hors la loi » prêts à payer
Verdict : les trois quarts environ seraient prêts à acheter ou à s’abonner pour avoir le film ou la fiction en question (si ceux-ci n’avaient pas été disponibles illégalement). « Si chacun d’entre eux versait les sommes dues pour avoir le contenu illégal pour lequel ils sont prêts à payer, c’est 1,36 milliard d’euros qui seraient injectés dans l’industrie audiovisuelle, et plus globalement l’économie, résume Solenne Blanc, associée EY, en charge des médias. Et encore, nos hypothèses sont assez conservatrices, puisqu’on n’a pas pris en compte le visionnage sur des plates-formes légales comme YouTube, ou des réseaux sociaux avec du contenu n’ayant pas l’autorisation des ayants droit. On n’a pas pris en compte non plus les conséquences de la perte de valeur des séries lorsqu’elles sont beaucoup visionnées avant de passer à la télévision. »
La SVoD ou le DVD en première ligne, le cinéma mieux préservé
Ce manque à gagner représente environ 15 % du marché légal en 2015 (c’est-à-dire du total des revenus de chacun des supports étudiés). Et certains supports sont plus affectés que d’autres. C’est le cas du DVD, par exemple : EY estime le manque à gagner à 600 millions d’euros, ce qui représente 85 % de la taille totale du marché légal. De même, la vidéo à la demande (78 % du marché) et la SVoD (59%) sont particulièrement touchées. « Ça explique en partie pourquoi ces offres se développent relativement doucement ou encore pourquoi les ratios de conversion de la salle vers les DVD ont baissé », reprend la spécialiste.
La télévision gratuite n’est pas complètement épargnée, la baisse de la consommation liée au piratage entraînant un manque à gagner de l’ordre de 120 millions d’euros de recettes publicitaires.
A contrario, le cinéma est relativement préservé. « Ce qui n’est pas vraiment surprenant dans la mesure où les gens vont dans les salles obscures pour avoir une véritable expérience et que le piratage de films s’effectue majoritairement au moment de la sortie du DVD commercial », observe Solenne Blanc.
2000 emplois touchés, et un gros manque à gagner pour l’État
EY a essayé de décomposer, sur 2015 cette fois, le manque à gagner (1,35 milliard) entre les différents bénéficiaires lésés par le piratage. Premier affecté : l’État, qui n’engrange ni la TVA ni les impôts ou charges afférentes (430 millions).
Mais il n’est pas le seul : « Si cet argent était mécaniquement réinvesti dans le secteur audiovisuel et cinématographique, selon les mécanismes de redistribution en vigueur (compte de soutien à l’industrie des programmes audiovisuels, obligations de financement de la production…), cela ferait 265 millions d’euros, soit environ le budget de soixante films chaque année, indique la professionnelle. Et c’est sans compter la capacité d’investissement additionnelle qui aurait dû aller aux acteurs audiovisuels et être réinvestie dans des projets. »
Enfin, réinjecter le manque à gagner permettrait de créer 2.000 emplois directs, « ce qui est là aussi une hypothèse très conservatrice », dit Solenne Blanc. Le piratage ne tue certes pas la culture, ni l’industrie du divertissement, « mais il menace la pérennité de son financement et assèche un potentiel de création nouvelle », conclut-elle.
Marina Alcaraz
Les Échos (23/02/17)
(1) Le budget de « Valérian » tourne autour de 200 millions d’euros, celui de « Plus belle la vie » autour de 30 à 35 millions d’euros par an. En 2015, plus de 1,2 milliard d’euros ont été investis dans la production de films français, selon le CNC.