Le trafic de faux médicaments est estimé à 200 milliards de dollars. L’essor du e-commerce et la relative impunité des trafiquants ont aggravé ce phénomène.
La pression n’a jamais été aussi vive au sein des états-majors des grands laboratoires pharmaceutiques. La contrefaçon de médicaments ne faiblit pas. Au contraire. En cinq ans, le nombre d’incidents a augmenté de 60 %, selon le Pharmaceutical Security Institute (PSI), un organisme international de veille du secteur. Le trafic de faux médicaments est estimé à 200 milliards de dollars, contre 75 milliards en 2006. Soit autour de 20 % du marché pharmaceutique mondial. En Europe, les États perdent environ 1,7 milliard d’euros de prélèvements fiscaux et cotisations sociales à cause de ce fléau.
Tous les médicaments sont concernés par le crime pharmaceutique, les molécules princeps autant que les génériques, fabriqués à 90 % en Inde et en Chine. Il s’agit aussi bien de produits coûteux contre le cancer que d’antidouleur vendus à bas prix. Le Viagra (Pfizer) continue de tenir le haut du pavé. Un commerce dix à vingt fois plus rémunérateur que le trafic de cigarettes et d’héroïne. Mille dollars investis dans le trafic de médicaments contrefaits rapporteraient jusqu’à 500.000 dollars aux organisations criminelles, selon l’Institut international de recherche anti-contrefaçon de médicaments.
Le phénomène est mondial, avec des répercussions économiques et sanitaires graves. Plusieurs centaines de milliers de personnes périssent chaque année à cause de cette nouvelle pandémie. Les pays du Sud, qui concentrent 30 à 60 % des faux médicaments, payent un lourd tribut. Un médicament sur dix vendus dans les pays à revenu faible ou intermédiaire est de qualité inférieure ou falsifié, selon l’OMS.
Dans certains pays d’Afrique, c’est jusqu’à sept sur dix. Mais les États-Unis ne sont pas épargnés. Ils figurent parmi les principales victimes de ce fléau (1677 incidents recensés en 2017, selon PSI). La faute à des prix élevés et à un système de couverture sociale hétérogène qui incitent beaucoup à passer entre les mailles du filet.
C’est sans doute la distribution de ces médicaments qui a le plus évolué ces cinq dernières années. Si on trouve ces faux dans les marchés de rue illégaux, dans les pharmacies, les dispensaires ou encore les hôpitaux, ils ont envahi les sites Internet. L’essor du e-commerce a changé la donne de la contrefaçon de médicaments, en favorisant notamment l’opacité des flux. « Il a clairement accéléré ce fléau, résume Philippe Lamoureux, directeur général du Leem qui fédère les entreprises du médicament en France. Des plateformes en ligne se montent et se démontent en un clin d’œil. Le caractère insaisissable de ce commerce rend les décisions difficiles. »
Raz-de-marée
Fin 2018, un site installé en France, hébergé en Europe centrale, a été mis au jour. En moins de six mois, son responsable, un Slovaque, avait pu générer suffisamment de ventes en Europe (hormones de croissance, stéroïdes, compléments alimentaires…) pour s’offrir une McLaren valant 200 000 euros…
C’est un vrai raz-de-marée. Vingt nouvelles officines sont créées chaque jour sur Internet. Or plus de 90 % de ces pharmacies en ligne sont illicites. « En utilisant Internet, les consommateurs recherchent des prix attractifs, la discrétion, à se passer d’ordonnance ou la rapidité d’approvisionnement, résume l’IRACM. Mais ce qu’ils gagnent d’un côté, ils le perdent en sécurité. »
Face à ce phénomène sans précédent, la collaboration s’est renforcée entre les États, l’industrie pharmaceutique et les pouvoirs publics, sous l’égide d’Interpol et de l’Organisation mondiale des douanes. Elle se traduit notamment depuis onze ans par l’opération « Pangea » (116 pays) dont le millésime 2018 a permis la fermeture de 3671 sites Internet, l’arrestation de 859 personnes et la saisine de 500 tonnes de médicaments illicites. « Il y a un vrai front uni des laboratoires, de la police, des autorités sanitaires et des douanes pour lutter contre ce fléau, estime Anne Piot d’Abzac, responsable des risques chez Ipsen. Au-delà de la réputation de nos laboratoires et des enjeux de propriété intellectuelle, ce sont des vies humaines qui sont en jeu. »
Keren Lentschner
Le Figaro (24/04/19)