Au centre de
tri postal de Chilly-Mazarin en Essonne, une vingtaine de douaniers s’affairent
pour repérer les contrefaçons. Un travail de Sisyphe alors que le trafic ne
cesse d’augmenter et la taille des colis de rétrécir.
Dans le vaste
entrepôt, des dizaines de milliers de sacs, colis et paquets circulent déjà sur
des chaînes de triage. Livrés par camions en provenance directe de l’aéroport
de Roissy Charles de Gaulle, ils sont en instance de livraison d’ici quelques
jours dans les bureaux de poste adéquats. Juchés sur leur petit tracteur, des
manutentionnaires dirigent des trains de chariots bourrés de grands sacs bleus,
blancs, jaunes ou simplement de gros cartons remplis de colis en provenance de
l’étranger. Chaque zone géographique a son code couleur. Le jaune, par exemple,
indique des importations en provenance de Turquie. Au-dessus d’une rangée de
chariots, un panneau rouge indique « import USA vrac », un autre « import
USA sac ».
Tout est
soigneusement répertorié. A Chilly-Mazarin, le centre de tri de la Poste est l’un
des points d’entrée de marchandises importées par le consommateur français. Qu’il
vienne de Chine, du Burkina Faso ou de Colombie. Dans cette fourmilière
bruyante, d’autres petites bennes grillagées débordent de paquets flanqués de l’indication
« douanes ». Le centre de tri abrite en effet une antenne d’une vingtaine
d’agents douaniers. Ils s’assurent que les produits importés répondent aux
normes du marché français. Drogues, produits frauduleux, copies doivent être
interceptés avant livraison. En fonction des informations confidentielles qu’ils
ont eu par ailleurs, avec l’expérience acquise au fil du temps, les agents
ouvrent les colis. De 8 à 12 % des colis pesant entre 2 et 30 kilos
passant par Chilly Mazarin sont contrôlés. Les envois inférieurs à 2 kilos sont
inspectés à Roissy directement.
Munis d’un
brassard rouge « douanes » et de gants, trois d’entre eux vérifient,
ce matin-là, la nature des produits empaquetés. Ils traquent les « produits
contrefaisants », c’est-à-dire des copies plus ou moins parfaites des
produits authentiques, les « produits contrefaits ». À leur côté
gisent des cartons éventrés d’où émergent de fausses chemises « Polo »,
« Burberry » ou « Gucci ». Des imitations de chaussures « Hermès »
côtoient un lot de trois fausses guitares « Gibson ».
Plus loin, s’étalent
des rideaux gris et blanc imprimés avec le logo « Louis Vuitton ».
Or, le groupe de luxe n’en fabrique même pas. « Nous avons aussi trouvé un
ensemble taie d’oreiller, drap-housse et housse de couette estampillé Chanel »,
évoque, amusé, Ludovic Crosnier, adjoint au chef du service du bureau de
dédouanement postal de Chilly Mazarin. En 2018, année du second sacre mondial
de l’équipe de France de Football, ce sont de faux maillots brodés des 2
étoiles qui ont été interceptés. Il est vrai qu’à l’époque, Nike, l’équipementier
officiel, était dans l’incapacité de livrer les fameuses tuniques. Les
contrefacteurs se sont engouffrés dans la brèche.
Caverne d’Alibaba
Le premier
étage des bureaux des douanes abrite une véritable caverne d’Alibaba. Dans une
vitrine, le fameux trophée Jules Rimet – la coupe du monde de foot – un collier
« Louis Vuitton », des lunettes de soleil « Gucci », des
vases « Hermès », un album de BD – « Tintin en Thaïlande »
– et plus loin, un VTT vert « Land Rover » sont exposés. Tout est
faux bien sûr.
« En
moyenne, chaque année, nous saisissons entre 30.000 et 50.000 faux, ici à
Chilly Mazarin », indique Ludovic Crosnier. Pour l’ensemble du
territoire français, selon le rapport 2018 de la direction des douanes et
droits indirects, 5,4 millions d’articles issus de la contrefaçon ont été
saisis l’an passé. La contrefaçon se porte bien, le trafic est même en hausse.
C’est ce que révèle
l’étude réalisée par l’Organisation de coopération et de développement
économique (OCDE) et l’Office de l’Union européenne pour la propriété
intellectuelle (EUIPO). En 2013, le commerce de « produits contrefaisants »
représentait environ 2,5 % du commerce mondial et 5 % des
importations de l’Union européenne. En 2016, les chiffres s’élèvent
respectivement à 3,3 % et 6,8 %. Au niveau mondial, le marché est
colossal. Il totalisait 509 milliards de dollars en 2016 contre 461 milliards
trois ans plus tôt. C’est dire si les douaniers ont de quoi s’occuper.
Parcellisation du marché
Première
tendance à l’œuvre sur ce marché, la commercialisation se fragmente. Sur la
période 2013-2016, les expéditions de moins de 10 articles ont représenté
environ 85 % du total des envois. On en était à seulement 43 % pour
la période 2011-2013. Résultat : entre 2014 et 2016, environ 57 % des
saisies en moyenne dans le monde concernaient des envois postaux et 12 %
des services de courrier exprès. Les transports aériens et maritimes de
marchandises suivaient avec un peu plus de 15 % et 10 % des saisies
respectivement.
Tous les
secteurs industriels sont concernés. Par exemple, 84 % des envois de
chaussures de contrefaçon saisis, 77 % des faux équipements optiques,
photographiques et médicaux (principalement des lunettes de soleil) et 66 %
des dispositifs de technologies de l’information et de la communication (TIC)
concernaient des envois postaux ou des envois express. C’est également le cas
de plus de 63 % des saisies de montres, bijoux, articles en cuir et sacs à
main contrefaits.
A
Chilly-Mazarin, l’accent est mis en cette période de vacances de printemps, aux
colis en provenance de Thaïlande. « Plutôt que de prendre le risque de se
faire prendre à l’arrivée à l’aéroport de Roissy avec des valises remplies de
faux, les touristes les achètent sur place et se les font envoyer à leur
adresse par colis postal », révèle Ludovic Crosnier. A charge pour les
douaniers de les repérer. C’est un phénomène saisonnier qui peut être observé
également pendant les vacances de février. Si la Chine, avec Hong Kong, reste
encore, et de loin, le premier pays d’origine de la contrefaçon (plus de 55 %),
d’autres pays sont ainsi concernés. Tout dépend du produit. L’Inde est
ainsi en tête des pays d’origine pour les faux médicaments.
Poursuites et livraisons surveillées
Dès que la
fausse camelote est repérée, elle est mise de côté dans les locaux de la
douane. Les produits y sont retenus pendant 10 jours, délai pendant lequel une
saisie-contrefaçon peut être effectuée par un huissier de justice missionné par
l’entreprise titulaire des droits (marque, logo, etc.) « Une fois que la
saisie a été autorisée par un juge puis mise en œuvre par un huissier, le
cabinet d’avocats qui représente l’entreprise victime de la contrefaçon dispose
de 31 jours pour saisir le tribunal compétent afin de faire constater la
contrefaçon, interdire la circulation des marchandises et ordonner leur
destruction », raconte Franck Valentin, avocat associé chez Altana, l’un
des cabinets français leader dans le droit de la propriété intellectuelle. Tous
les produits estampillés comme faux ne donnent pas forcément lieu à une
procédure en justice, longue et coûteuse.
Un petit colis
contenant une fausse montre, quelques T-shirt ou un foulard seront directement
envoyés à la destruction sans que cela ne donne lieu à des poursuites. A
Chilly-Mazarin, un camion broyeur vient sur site une fois par semaine. Un fois
concassés, les débris sont incinérés. Une fraude plus importante peut donner
lieu à ce que les douaniers appellent une « livraison surveillée ».
La procédure, très encadrée, nécessite l’autorisation d’un magistrat. Le ou les
colis sont livrés au destinataire, les douaniers suivant à distance pour
prendre le client final la main dans le sac. Il encourt, dans un premier temps,
une amende pouvant aller jusqu’à deux fois le prix réel de la marchandise piratée.
L’entreprise propriétaire des droits, de la marque ou du logo piraté peut, par
la suite, engager des poursuites judiciaires.
Montée en puissance de l’e-commerce
Mais la saisie
de faux produits par la douane n’est qu’un des aspects de la lutte contre la
contrefaçon. Celle-ci se traduit aussi par la surveillance de la toile. Car,
deuxième tendance à l’œuvre, l’achat de faux via les plateformes d’e-commerce,
dont la commande est acheminée par la poste ou par courrier express, est en
nette augmentation. En France, près de 30 % de la contrefaçon provient
désormais du commerce électronique.
Que ce soit sur
des grandes plateformes d’E-commerce, mais également via d’autres sites moins
connus tels que Wish, il existe bon nombre de moyens de se procurer des produits
de contrefaçons à des prix défiant toute concurrence. « Internet favorise
la circulation des petits colis, qui transitent par de nombreux points de
passage, ce qui complique la détection des contrefacteurs et l’application des
sanctions », indique Charlotte Hébert-Salomon, avocat counsel chez Altana.
Grâce à Internet, les contrefacteurs réduisent les risques de détection et de
sanctions.
Renforcer la coopération pour internet
La grande
bataille des années à venir se situe bien là. « Vous pourrez toujours
accroître le nombre de douaniers contrôlant l’arrivée des colis dans un pays,
autant essayer de vider un océan avec une petite cuillère », dit un agent.
La douane ne peut pas tout faire. « L’idée est de renforcer la
collaboration avec les plateformes d’e-commerce. Ces dernières ont toutes les
données (vendeur, montant de la transaction, numéro de compte du client
consommateur) pour permettre de renforcer la lutte et la rendre encore plus
efficace. C’est une approche que défend la Commission européenne »,
indique un spécialiste des douanes.
Sauf que, du
côté des grandes plateformes d’achat internet, il y a loin de la coupe aux
lèvres. Le discours se veut conciliant et coopératif. Sur le terrain, la
réalité est un peu plus compliquée. En plus, les grandes plateformes d’e-commerce
ne sont pas les seules à être impliquées, consciemment ou non, dans le commerce
de contrefaçon.
Il existe tout
un courant d’affaires sur le « darkweb » que la cyberbrigade des
douanes surveille étroitement. Il importe aussi de fermer les petits sites
internet proposant des contrefaçons et de faire en sorte qu’il ne soit plus
accessible. C’est l’un des axes de lutte du cabinet Altana. « Dès que nous
repérons un site frauduleux, nous demandons aux hébergeurs français (Free, Orange,
Bouygues et SFR) d’en supprimer l’accès. Mais, bien souvent, il arrive que ce
site renaisse avec un autre nom de domaine. À cela s’ajoute le fait que les
juges français n’ont pas la capacité de faire fermer un site hébergé à l’étranger.
Cela requiert de développer, comme nous le faisons avec les Etats-Unis, l’Allemagne
et la Grande-Bretagne, tout un réseau de bureaux d’avocat pour nous aider à
lutter contre ces sites », indique Franck Valentin.
Un travail de Sisyphe
Aujourd’hui, la
lutte contre le commerce de contrefaçons relève d’un travail de Sisyphe. Elle
coûte cher et toutes les entreprises n’ont pas la capacité de déployer des
services de surveillance d’internet. « Nos clients sont plus que jamais
conscients de la nécessité de mettre en place de tels programmes de lutte
anti-contrefaçon, et nous les accompagnons. Ils se protègent aussi par le dépôt
de marques et de brevets, au niveau international, mais sur ce plan, toutes les
entreprises ne luttent pas avec les mêmes armes : elles ne pensent pas toujours
à protéger leur savoir-faire et n’ont pas forcément les moyens de surveiller
les transactions internet de leurs produits », observe Charlotte
Hébert-Salomon.
N’importe qui
peut souffrir de la contrefaçon. « Toute entreprise qui possède un logo,
une marque, un brevet est une cible potentielle. En France, seuls les
croissants et la baguette échappent à l’activité des falsificateurs »,
plaisante Piotr Stryszowski, l’un des auteurs du rapport de l’OCDE. Douaniers
et avocats auront encore du pain sur la planche pour de nombreuses années.
Richard Hiault
Les Échos (27/05/19)
À chaque
pays sa spécialité
Comme le révèle
le rapport européen 2017 sur les infractions aux droits à la propriété
intellectuelle, la République de Moldavie est plutôt spécialisée dans le
piratage des boissons alcoolisées. La Turquie brille pour les faux en
confection, Hong Kong et la Chine pour les téléphones mobiles, les cartouches d’encre,
les CD/DVD, et les Etats-Unis pour les boissons autres que l’alcool. La
Roumanie et la Bulgarie versent plutôt dans le piratage des pièces automobiles
et aéronautiques.