Insécurité, occupation de l’espace public, nuisances… les trafics gangrènent les quartiers de Barbès et Château-Rouge. Le député Pierre-Yves Bournazel remet aujourd’hui un rapport à l’Assemblée.
Le Parisien, par Cécile Beaulieu, 9 décembre 2020
AUX CONFINS de la Goutte d’Or et du boulevard de la Chapelle, les
quartiers de Château- Rouge et de Barbès, à Paris (XVIIIe),
constituent un marché de la contrefaçon à ciel ouvert que jamais personne, au
fil des dernières décennies, n’a mis à mal. Le député de la circonscription,
Pierre- Yves Bournazel (Agir), travaille depuis deux ans sur cette
problématique avec un élu normand.
Il remet aujourd’hui un rapport accablant à l’Assemblée nationale
(lire
ci-dessous).
L’intégration du quartier, dès 2012, à la première zone de sécurité prioritaire (ZSP) parisienne, avec les effectifs et dispositifs qui y sont liés, n’a pas bouleversé la donne. La police — les brigades « antisauvettes » — arpente pourtant quotidiennement le secteur, où l’on dresse entre 90 et 120 procès-verbaux chaque jour… même si le problème est essentiellement traité sous l’angle de l’occupation illégale de l’espace public. C’est également là que les riverains, exaspérés, ont obtenu la condamnation de la Ville et de l’État pour défaut de moyens dans le maintien de l’ordre public. En vain.
Les clients viennent de
toute l’Ile-de-France et même de l’étranger
À Château-Rouge, dans le triangle
délimité par les rues Dejean, Poulet et des Poissonniers, on trouve presque tous les produits en version contrefaite : maroquinerie, lunettes, produits de beauté, médicaments… La clientèle, dense, vient de toute l’Ile-de-France, et
même de bien au-delà.
« Les policiers ont rencontré des clients venus des
Pays- Bas pour trouver LE produit qu’ils voulaient », soulignent les
députés dans leur rapport d’information.
Ces sacs à main estampillés de grandes marques, sous blister,
ceintures, parfums, produits de beauté installés sur de petits stands de
fortune sont retirés en quelques minutes dès que la police est signalée.
« Et maintenant, les chaussures contrefaites ont fait
leur apparition. C’est la nouveauté ! », ironise une habitante du quartier.
Les lots contrefaits sont entreposés à Aubervilliers (Seine- Saint-Denis)
puis répartis dans des caves et des box du quartier avant d’être proposés à la
vente dans la rue par petites quantités. « Les vendeurs, eux, derniers
maillons de la chaîne, viennent chaque jour de proche banlieue, ajoute cette habitante.
J’ai moi-même pris le bus 31 en provenance de la gare du Nord avec une vendeuse
de contrefaçons, que j’ai vue s’installer à Château- Rouge. C’est sans fin ! Il
faudrait frapper les réseaux, saisir les stocks. D’ailleurs, l’été dernier, la
police a découvert une cache où étaient entreposés des sacs à main… Et nous n’en
avons plus vu à la vente dans la rue pendant des mois. Cela n’arrive pas assez souvent. »
Des montagnes de déchets
Le trafic crée des nuisances devenues insupportables pour les riverains. Chaque jour, vendeurs à la sauvette et commerçants peu scrupuleux génèrent des montagnes de déchets.
Quelques centaines de mètres plus loin, aux abords de la station
de métro Barbès, des dizaines d’hommes battent le pavé, haranguant le client.
Leur business ? Les cigarettes de contrebande, mais
aussi de contrefaçon, de plus en plus nombreuses (lire ci-dessous).
« Non contents de nous faire vivre au milieu du trafic,
ils sont agressifs, dangereux, s’agace un riverain. Les gens baissent le regard
de peur de prendre un mauvais coup. »
De plus en plus de
cigarettes
APRÈS LA CONTREBANDE, voici les cigarettes de contrefaçon.
Le commissariat du XVIIIe arrondissement,
qui compte les « spots » de Barbès et de la place de la Chapelle, a
observé depuis quelque temps l’apparition de paquets de contrefaçon.
A l’origine du phénomène, l’installation d’usines clandestines équipées
à partir du matériel d’entreprises en faillite, qui se procurent du tabac dans
des pays comme la Pologne ou la Bulgarie, où sa culture est peu réglementée et
abondante. Le trafic est essentiellement aux mains de groupes criminels
originaires d’Europe de l’Est, notamment d’Ukraine. La décision de porter
progressivement le prix du paquet de cigarettes à 10 € a créé un appel d’air
pour les trafiquants, qui les revendent à moitié prix sur les trottoirs ou la
Toile.
La préfecture de police, citée dans le rapport de Pierre- Yves
Bournazel et Christophe Blanchet, souligne que « les juges peinent à
comprendre la nuisance que représente la vente illégale de cinq à dix paquets de
cigarettes sur la voie publique ». Seul un PV est dressé, la marchandise
saisie.
Les vendeurs, eux, s’en tirent avec un rappel à la loi. C.B.
Dix-huit propositions pour
combattre ce fléau
C’est le quartier Château- Rouge (Paris XVIIIe), haut lieu de la vente de
produits contrefaits, qui a posé les premières pierres de l’épais rapport d’information
présenté cet après-midi à l’Assemblée nationale. Ses auteurs, Pierre-Yves
Bournazel, député (Agir) de la circonscription et élu dans le XVIIIe arrondissement, et
Christophe Blanchet, député (MoDem) de la 4e circonscription du
Calvados, y dressent un état des lieux de la contrefaçon à l’issue d’un travail
de deux ans, au cours desquels des dizaines d’auditions ont été menées auprès d’acteurs
du luxe, des policiers, services de douanes, magistrats, associations,
assorties de tables rondes et de visites sur le terrain, à Château-Rouge, au
Havre et à Roissy.
Cibler les sites
touristiques
Les rapporteurs déclinent 18
propositions visant à mieux coordonner acteurs publics et privés, réviser le
cadre législatif et renforcer la réponse judiciaire. Mais aussi protéger les
créateurs, fabricants et consommateurs. L’affaire est d’autant plus importante
que la contrefaçon est la deuxième économie criminelle après le trafic de
stupéfiants ! « La contrefaçon est un fléau qui concerne tous les
produits, des jouets non homologués aux parfums, vêtements, maroquinerie, produits
de beauté, médicaments, alimentation, cigarettes, détaille Pierre-Yves Bournazel.
Ces trafics dans lesquels sont impliqués des ressortissants des pays du
Maghreb, d’Europe de l’Est et de Chine, avec des ramifications européennes,
nourrissent l’économie criminelle tout en s’attaquant à nos savoir-faire, à l’emploi
et à la propriété intellectuelle. Ils représentent également un danger pour la
santé publique, dans certains cas, et lorsqu’ils sont vendus sur les trottoirs,
troublent l’ordre public et nuisent à la sécurité des habitants. » Sont
concernés les quartiers de Barbès, La Chapelle, les portes Montmartre et de
Clignancourt (XVIIIe), Belleville (XXe), et les sites touristiques,
comme les abords de la tour Eiffel (VIIe) « J’ai constaté, en
tant qu’élu et habitant du XVIIIe, la complexité de la
situation à Château- Rouge, la saturation de l’espace public et l’impuissance
des pouvoirs publics à endiguer un problème devenu endémique », ajoute
Pierre-Yves Bournazel.
Bloquer des sites Internet
Opérations des douanes, de
la police, des brigades spécialisées : le travail de terrain est là, mais la
coordination rarement au rendez-vous. Pour y remédier, les deux députés
proposent d’inciter les maires à se saisir de l’expérimentation relative à la verbalisation
des ventes à la sauvette par la police municipale, et de construire une
collaboration plus étroite avec la police nationale.
Outre le renforcement de la coopération internationale et le renforcement
de la politique de prévention auprès des acheteurs, les rapporteurs préconisent
la création d’une procédure de blocage des sites Internet proposant des
produits contrefaits dont ils pointent le développement exponentiel.
D’introduire, enfin, dans le code de la propriété intellectuelle, une disposition permettant de prononcer la suspension groupée de noms de domaine et de comptes de réseaux sociaux. Les plaintes contre les sites les plus actifs pourraient également être regroupées, comme c’est le cas aux États-Unis ou en Italie.
Après présentation aux députés, le rapport sera remis la semaine prochaine
au Premier ministre Jean Castex. C.B.