A la tête de l’office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), Christian Archambeau déplore la lutte incomplète des Européens contre les produits contrefaits. A ses yeux, les PME ne pensent pas assez à protéger leurs produits et leurs designs en Europe. Les fraudeurs s’engouffrent dans la brèche.
Les Echos Par Richard Hiault Publié le 10 juin 2020 à 9h00Mis à jour le 10 juin 2020 à 16h38
Comment expliquez-vous que les activités de piratage soient aussi florissantes ?
C’est une activité dont les marges bénéficiaires sont très importantes. De surcroît, le risque, pour un contrefacteur, d’être pris et la peine qu’il encourt sont très faibles par rapport à d’autres activités criminelles. Résultat : le commerce de produits contrefaisants représente environ 3,3 % du commerce mondial. Leur part dans les importations de l’Union européenne atteint même le chiffre de 6,8 %, soit 120 milliards d’euros. Un produit sur douze importés en Europe est un faux. Si la production vient bien souvent de Chine, d’Inde et du sud est-asiatique, l’acheminement passe par l’Albanie, l’Egypte, le Maroc et l’Ukraine. Là où se trouvent des zones franches, à l’instar des Emirats arabes unis, j’observe une augmentation significative de l’activité de commercialisation de produits contrefaisants par rapport à un pays qui n’en est pas doté.
Les moyens mis en oeuvre pour lutter contre cette fraude sont-ils à la hauteur en Europe ? L’appareil judiciaire européen est-il adapté ?
Non. Jusqu’en 2017, la lutte contre la contrefaçon de produits mettant en danger la santé humaine figurait parmi les priorités de lutte contre la criminalité des Européens. La montée du risque terroriste l’a reléguée au second plan. C’est pourquoi nous militons pour que le respect de la propriété intellectuelle redevienne une priorité. C’est d’autant plus urgent que la commercialisation des produits contrefaisants illicites passe par Internet et que la distribution s’effectue par l’envoi de petits paquets. Si l’Europe est assez bien organisée pour vérifier les containers reçus dans les ports, elle l’est bien moins pour surveiller ces petits colis. Cela demande énormément de moyens. La croissance importante des volumes nous inquiète.
Observez-vous de nouvelles tendances sur le marché des produits contrefaisants ?
Les contrefacteurs suivent la mode du moment et observent les tendances de la consommation. Avec la crise sanitaire du Covid-19, l’offre de masques, de blouses, de tabliers contrefaisants a fortement augmenté. Autre tendance de fond : la forte augmentation de la distribution de programmes audiovisuels illégaux par Internet (télévision par Internet). L’office estime, pour l’Europe, à un milliard d’euros les revenus illégaux versés à ces fraudeurs. 13 à 14 millions d’Européens ont souscrit à ces programmes. Cela va du piratage de retransmission d’événements sportifs à la diffusion illégale de séries TV ou de films.
La commercialisation de produits contrefaisants utilise de plus en plus Internet. Les plateformes d’e-commerce sont-elles en cause ?
Le problème est plus nuancé. Il est difficile pour les plateformes d’e-commerce de distinguer un produit contrefaisant illicite d’un produit véritable. Des millions de produits transitent sur ces plateformes de ventes. Elles se basent en priorité sur les plaintes de leurs clients. Je note cependant une volonté politique de durcir leur réglementation. Pour notre part, nous avons organisé des rencontres avec ces plateformes. Certaines commencent à développer leur propre écosystème : elles demandent aux entreprises qui utilisent leur service de coopérer en divulguant des informations sur l’authenticité de leurs produits pour mieux combattre la contrefaçon. Cela inquiète les entreprises qui craignent aussi, de ce fait, l’apparition de produits concurrents que lanceraient les plateformes elles-mêmes. D’où l’intérêt de mieux protéger la propriété intellectuelle.
Ce n’est pas le cas aujourd’hui ?
Un énorme travail reste à faire auprès des petites et moyennes entreprises qui n’y pensent pas forcément. Les PME ont tendance à travailler en secret jusqu’à la commercialisation de leur produit sans penser à protéger la marque ou le design dès le début. Elles trouvent les démarches compliquées et trop coûteuses. Ce qui à mon sens est faux. La protection d’une marque pendant 10 ans coûte 900 euros et la protection d’un design 300 euros. C’est une somme bien faible par rapport aux montants que vous devrez consacrer en frais d’avocat si vous vous apercevez que vous avez été copié. Et c’est bien moindre que le dépôt d’un brevet dont la procédure d’obtention prend plusieurs années et dont le coût s’élève à 40.000 euros. Les PME ont tendance à penser au brevet et pas à la protection de la propriété intellectuelle au sens large. Aujourd’hui, seulement 9 % des PME, en Europe, ont une telle protection et détiennent l’un ou l’autre titre de propriété intellectuelle. Ce sont notamment les PME allemandes et italiennes qui ont eu le plus de réflexes. Les PME françaises, elles, sont dans la moyenne.
Richard Hiault
La contrefaçon prospère plus que jamais en Europe
La commercialisation de produits de contrefaçon en Europe fait perdre aux gouvernements 15 milliards d’euros de recettes fiscales, selon les estimations de l’EUIPO. Ce commerce illicite entraîne la perte de plus de 400.000 emplois directs dans l’Union.
Par Richard HiaultPublié le 10 juin 2020 à 9h00Mis à jour le 10 juin 2020 à 16h56
Au printemps 2019, une opération menée par Europol dans les principaux ports, aéroports et postes frontières de l’Europe permettait la saisie de 550 tonnes de pesticides contrefaits. En novembre 2019, une opération conjointe de l’Union européenne et des Etats-Unis entraînait la saisie de 30.500 noms de domaine ayant distribué des articles piratés et des produits de contrefaçon sur Internet. Parmi eux : des produits pharmaceutiques, des films, des diffusions télévisées illicites, de la musique, des logiciels, de l’électronique et d’autres produits bidon.
Une activité prospère
La contrefaçon de sacs de luxe, vêtements, chaussures de marques et produits « high tech » se porte toujours à merveille . C’est l’un des constats de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) dans son rapport annuel publié mercredi à l’occasion de la journée mondiale de la lutte anti-contrefaçon.
Pour l’office, la violation des droits de propriété intellectuelle est un business sérieux : la valeur annuelle des importations de produits de contrefaçon dans l’Union européenne s’élève à 121 milliards d’euros, soit 6,8 % des importations en provenance du reste du monde. Ces produits de contrefaçon entraînent la perte de plus de 400.000 emplois directs, de 83 milliards d’euros de ventes et de 15 milliards d’euros de recettes fiscales.
Les secteurs économiques les plus touchés par les activités de contrefaçon dans l’Union européenne.EUIPO
A l’échelle européenne, la contrefaçon représente un manque à gagner de 19 milliards d’euros, dans des secteurs aussi variés que les cosmétiques, les vins, les médicaments et les jouets. Les pertes pour le secteur des cosmétiques et des soins personnels ont progressé de plus de 2,5 milliards d’euros sur un an. « C’est la plus forte augmentation de tous les secteurs analysés », souligne l’Office. Environ 14 % des ventes du secteur (9,6 milliards d’euros) sont perdues chaque année en Europe en raison des copies et des faux. Rien qu’en France, ce chiffre est de 12,5 %, soit l’équivalent de 1,5 milliard d’euros (387 millions de plus).
Le crime organisé impliqué
« En plus d’entacher la réputation des entreprises, mettre à mal leur savoir-faire, détruire les emplois et polluer la planète, la contrefaçon est un danger non négligeable pour les consommateurs qui sont souvent ceux qui en paient le prix fort », alerte dans le communiqué de l’office, le président de l’Unifab , Christian Peugeot. Risques d’accidents domestiques, atteinte à la santé des éventuels consommateurs de produits illicites n’altèrent en rien les activités du crime organisé, de plus en plus impliqué dans le commerce de marchandises de contrefaçon. Les recherches menées par l’office et Europol confirment les liens étroits entre la contrefaçon et les autres formes graves de criminalité. Que ce soit le trafic de drogue ou le blanchiment d’argent. Pour l’EUIPO, il est plus que temps d’agir et de prendre le problème à bras-le-corps.
Richard Hiault
Contrefaçon : l’intelligence artificielle au secours de Rakuten
Les plateformes de commerce électronique facilitent le commerce de produits contrefaits. Depuis 15 ans, Rakuten a développé une approche via l’intelligence artificielle et une équipe dédiée qui lui permet de mieux sécuriser les transactions.
Par Richard Hiault Publié le 10 juin 2020 à 9h00Mis à jour le 10 juin 2020 à 16h20
Vecteurs privilégiés des professionnels de la contrefaçon pour écouler leurs produits frauduleux, les plateformes d’e-commerce peuvent vite se retrouver dans l’oeil de la justice. Rakuten a pris les devants . « Nous nous sommes engagés depuis une quinzaine d’années dans la lutte contre la contrefaçon », témoigne Mathieu Deshayes, responsable de la gestion du risque. Aujourd’hui, la société qui a racheté en 2010 Priceminister se targue d’un taux de réclamation lié à la contrefaçon inférieur à 0,01 %.
Une dizaine de personnes dédiées
« Pour parvenir à ce résultat, nous nous appuyons sur une équipe d’une dizaine de personnes spécialement affectée à la détection de cas frauduleux. Nos équipes de recherche et développement ont également mis au point des algorithmes afin de détecter, en amont, tout comportement frauduleux des vendeurs présents sur notre plateforme », explique-t-il.
es systèmes de surveillance et d’alertes des comportements suspects traquent les activités des vendeurs. Historique d’activité du compte, type d’articles vendus, quantité… l’intelligence artificielle (IA) est là en soutien. « Si la vente d’un article de marque par un consommateur nous paraît suspecte, nous demanderons, via notre système de messagerie, la facture de cet article et sa photo pour nous assurer que ce n’est pas un faux », indique Mathieu Deshayes. Tant que l’acheteur n’est pas satisfait de son achat, le vendeur n’est pas crédité du produit de la vente. « Si la réclamation de l’acheteur est justifiée, celui-ci est remboursé quoi qu’il arrive, grâce à la garantie Tiers de confiance qui le protège gratuitement ».
Coopération avec les douanes
Tout objet acheté faisant l’objet d’une réclamation parce qu’il est suspecté d’être frauduleux est conservé dans les locaux de la plateforme. Il reviendra à un juge de prononcer qu’il s’agit d’un faux et aux douanes de le détruire.
Pour les aider dans leur tâche, les équipes de surveillance de Rakuten font régulièrement l’objet d’une formation avec les entreprises de marques. « Certaines nous ont fourni de manière confidentielle quelques-uns de leurs secrets de fabrication pour repérer plus facilement les faux. Les contrefacteurs ont tendance à mettre trop d’étiquettes des grandes marques sur leurs produits frauduleux pour convaincre l’acheteur », constate Mathieu Deshayes.
La high tech en poupe
Rakuten, qui a reçu il y a quelques années une équipe des Douanes françaises, coopère et peut les alerter sur certaines tendances. L’activité de contrefaçon suit de près l’actualité et évolue selon les grandes tendances du marché de la consommation. En pleine Coupe du monde de football, ce sont des faux maillots de l’équipe de France qui étaient à l’honneur. Avec la crise sanitaire du Covid-19, ce sont les masques et gels hydroalcooliques. « L’an dernier, les faux AirPods d’Apple se sont distingués », remarque Mathieu Deshayes. Ces dernières années, d’ailleurs, les produits high tech ont eu tendance à supplanter les produits de luxe, les cosmétiques et les parfums. Comme quoi, même les contrefacteurs suivent de près la mode du moment.
Richard Hiault