Le 7 février, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) a organisé, au Sénat, un colloque sur les stratégies internationales de lutte contre le piratage des contenus culturels et sportifs.
Retenu dans l’hémicycle pour la discussion du projet de loi dit « PACTE », je n’ai malheureusement pas pu participer à cet évènement, organisé en partenariat avec le CNAC. Ce dernier était représenté par la co-présidente du groupe de travail « communication et sensibilisation », Delphine SARFATI-SOBREIRA (Unifab), qui est intervenue dans la table ronde consacrée aux campagnes de sensibilisation des internautes.
Vous pouvez lire la synthèse du colloque en cliquant ici.
Vous trouverez, ci-dessous, le discours d’ouverture du président de la Hadopi, Denis RAPONE (seul le prononcé fait foi).
Madame la Présidente,
Mesdames, Messieurs les parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux, avec les membres du Collège, de vous accueillir aussi nombreux au Sénat, dans cette belle salle Clemenceau, pour ce colloque que nous consacrons aux stratégies internationales de lutte contre le piratage des contenus culturels et sportifs.
Je souhaite tout d’abord remercier le président du Sénat, la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et l’ensemble de ses membres qui nous ont fait l’honneur de bien vouloir s’associer à notre manifestation, nous ont permis de pouvoir l’organiser au Palais du Luxembourg et qui nous manifeste une nouvelle fois, comme ils l’ont toujours fait depuis la création de l’Hadopi, une attention et un soutien précieux.
Je remercie également l’ensemble des invités qui ont accepté d’intervenir, tout au long de la journée, certains d’entre eux Français mais la plupart venant de l’étranger. Je leur suis reconnaissant d’avoir pris sur leur temps malgré des agendas très chargés et d’avoir parcouru parfois de longs trajets pour venir jusqu’à Paris honorer notre invitation. Aujourd’hui, de nombreux représentants d’institutions internationales dédiées au droit d’auteur sont présents. La grande qualité des personnalités ainsi réunies promet une journée d’échanges passionnante pour tous ceux, présents aujourd’hui dans cette salle, qui ont à cœur la protection du droit d’auteur sur Internet.
Notre colloque, le choix des thématiques comme celui des intervenants, doit beaucoup à l’énergie déployée par le professeur Alexandra Bensamoun, membre de notre Collège, et à l’ensemble des équipes de l’Hadopi mobilisées sur le sujet, tout particulièrement le bureau des affaires juridiques et le chargé des relations institutionnelles et de la communication. Je les remercie très chaleureusement pour leur investissement.
Je n’oublie pas bien sûr nos partenaires, le CNC, le CNAC, l’UNIFAB, l’EFB, l’AFPIDA, le Club des régulateurs, les éditions Dalloz et le journal Challenges, qui nous apporté leur aide et leur soutien.
Je tiens enfin à remercier les équipes informatiques du Sénat comme de l’Hadopi qui rendent possible la diffusion en direct du colloque sur le site vidéo du Sénat et sur le site internet de l’Hadopi.
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L’Hadopi n’avait pas organisé de colloque depuis 2013, c’est dire si cette journée est importante pour notre institution. À mon arrivée à la présidence de celle-ci, il y a un peu moins d’un an, il m’a semblé, en plein accord avec le Collège, que nous devions réinvestir ce champ qui est celui de la réflexion, du partage d’expériences, du débat prospectif, de la coopération avec nos partenaires étrangers et de la mutualisation de nos travaux. Mettre en perspective, analyser ce qui se fait ailleurs, comparer les approches, questionner les modèles étrangers, bref ouvrir notre regard sur le monde pour mieux éclairer les voies possibles d’amélioration de notre action. Tel est l’objet de cette manifestation. Elle constitue une initiative, qui participe avec d’autres au nouvel élan que l’institution souhaite donner à son action. D’aucuns ont pu, par le passé, nous vouer à la critique systématique, alimenter à notre sujet des polémiques outrancières, dénigrer notre travail, gloser sur notre inutilité, voire sur notre nocivité à l’égard d’un internet qui était supposé devoir rester un espace de liberté absolue sans aucune régulation, même si les usages sur la toile pouvaient enfreindre la loi et être attentatoires à l’ordre public. Certains ont même spéculé sur la disparition pure et simple de notre institution ou, à défaut, sur son affaiblissement. Je le dis tout net : nos contempteurs, qui ont voulu instruire un procès en sorcellerie numérique à l’encontre de l’Hadopi, se sont mépris sur notre capacité à poursuivre résolument notre action, car elle n’est rien d’autre que la mise en œuvre d’une politique publique essentielle qui, à travers la lutte contre le piratage, vise à la préservation de la richesse de la création et de la diversité culturelle. C’est dire combien nous sommes fiers, envers et contre toutes les velléités contraires, d’être restée invariablement au service de l’intérêt général.
Notre détermination à lutter contre le piratage sur internet, tout comme notre implication pour favoriser le développement de l’offre légale, nous a amenés à accumuler au fil du temps, afin de mieux les combattre, une connaissance approfondie des pratiques de piratage et des technologies qui les sous-tendent, de telle sorte que nous sommes aujourd’hui regardée comme l’institution publique référente et experte dans la lutte contre le piratage.
Cette expertise peut s’illustrer, notamment, à travers le travail considérable de veille et d’analyse, mené depuis 2011, des dispositifs mis en place à l’étranger pour assurer la protection des œuvres culturelles sur Internet. Les services de l’Hadopi ont regroupé des informations collectées et régulièrement mises à jour concernant 23 pays, qui ont été choisis en fonction de l’originalité ou de l’impact des outils mis en œuvre pour lutter contre le piratage et qui sont situés en Europe, en Amérique du Nord, en Asie ou en Océanie.
Cette année, l’Hadopi a inclus dans son champ d’analyse les dispositifs étrangers de lutte contre le piratage des contenus sportifs qui est un phénomène en augmentation exponentielle, qu’il nous faut prendre en compte. La protection des contenus culturels et des contenus sportifs présente, en effet, un certain nombre de points communs, même si des outils adaptés doivent être mis en place à l’encontre du piratage des retransmissions sportives afin de tenir compte de leur diffusion en direct.
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Partout dans le monde, le même constat : nous sommes face à une complexification de l’écosystème illicite caractérisé par l’apparition d’une pluralité d’acteurs qui interviennent en amont ou en aval des pratiques de piratage pour mieux les organiser. Les sites et services pirates se distinguent également par le perfectionnement des mesures d’évitement ou de contournement des actions qu’acteurs privés et acteurs publics développent à leur encontre et qu’ils s’ingénient à neutraliser.
Je ne voudrais pas entretenir inutilement de suspens : il n’existe pas de solution miracle qui permette d’éradiquer durablement le piratage. En revanche, il ressort de nos observations, rassemblées dans un document très complet qui vous a été remis et qui constitue notre rapport de veille internationale, qu’il existe des outils variés et des méthodes originales qui peuvent se combiner pour mieux lutter contre ces pratiques illicites. C’est de cette conjonction d’approches et de modes d’action différents que peut résulter une efficacité accrue de la lutte contre le piratage.
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Nous avons organisé ce colloque pour partager avec tous les acteurs impliqués dans la lutte contre le piratage des contenus culturels ou sportifs l’expertise de nos homologues étrangers. Nous avons ainsi sélectionné, parmi tous les systèmes que nous avons observés, ceux qui nous semblaient les plus pertinents pour nourrir le débat public en France.
Je crois, en effet, qu’il est devenu nécessaire, au plan national, d’envisager une modernisation de nos moyens d’action contre le piratage. L’Hadopi, qui présente la particularité d’être l’unique institution dédiée à la protection de la création sur Internet et d’avoir, outre sa capacité d’expertise, l’expérience de dix années d’exercice de ses missions, m’apparaît pleinement légitime pour organiser et coordonner un renforcement de l’action publique dans ce domaine.
Nous avons été précurseurs, en 2009, lorsque nous avons mis en place, à travers la procédure de réponse graduée, un dispositif pré-pénal d’avertissements à destination des abonnés dont la connexion était utilisée à des fins de contrefaçon sur les réseaux pair à pair. Aujourd’hui, notre action a produit ses effets et les pratiques de piratage en pair à pair ont pratiquement diminué de moitié. Nous devons poursuivre cette action, la rendre encore plus efficace sans doute en nous interrogeant sur la meilleure façon d’agir en cas d’échec de la phase pédagogique d’avertissements, mais nous devons aussi aller au-delà et nous attaquer à de nouveaux usages illégaux.
C’est ce que nous faisons d’ores et déjà : nous allons au bout des moyens que la loi nous donne pour identifier les sites illicites et, sur la base de cette identification, alerter tous les acteurs qui peuvent contribuer à leur élimination ainsi que pour sensibiliser les internautes aux risques que présentent ces sites.
Mais je partage aussi le constat qui a pu être fait par la représentation nationale ou le Gouvernement selon lequel nos moyens de lutte contre le piratage gagneraient aujourd’hui à être amplifiés par des mesures législatives nouvelles.
Ainsi, je souhaite que cette grande journée de travail en commun puisse contribuer à enrichir les réflexions françaises en cours sur le renforcement de la lutte contre le piratage. Différentes propositions ont été faites, tout récemment à travers une mission d’information parlementaire, et nous en avons-nous-mêmes formulées de longue date. J’ai eu l’occasion de les présenter ici même devant la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, lors de ma participation à une audition. Il sera très précieux de pouvoir les évaluer à la lumière de l’expérience de nos homologues étrangers.
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Nous avons organisé cette journée de manière à ce que toutes les armes envisageables pour lutter contre le piratage soient évoquées.
Nous nous attacherons à montrer l’importance de l’observation dans l’élaboration de nos politiques publiques. Vous l’avez compris, nous attachons du prix à ce que l’Autorité dispose d’une expertise solide et puissante des usages numériques, qui sont en constante évolution. Il faut savoir et comprendre pour agir. Nous avons, à ce titre, récemment réalisé, avec le ministère de la culture, une cartographie très précise de l’écosystème illicite des biens culturels. Elle sera brièvement présentée.
Nous avons, ensuite, prévu au cours du colloque de nous intéresser à tous les acteurs susceptibles d’être impliqués à nos côtés dans la lutte contre le piratage.
Les usagers eux-mêmes, d’abord, à l’égard desquels nous pouvons déployer des actions de communication ou de sensibilisation. Nous nous devons également envisager, à l’égard des usagers, des actions plus coercitives lorsque les actions de sensibilisation s’avèrent insuffisantes. Différents modèles d’avertissements ou de coercition existant à l’étranger, éventuellement dans le même esprit que notre procédure de réponse graduée, seront ainsi évoqués.
Il nous apparaît important aussi d’impliquer tous les acteurs d’Internet qui peuvent se trouver en situation de contribuer, malgré eux, au bon fonctionnement des sites et services pirates. Ces acteurs, je pense aux acteurs de la publicité en ligne ou à ceux du paiement en ligne, peuvent être parties prenantes d’engagements volontaires, encadrés par la puissance publique et permettant d’assécher les ressources des services illicites pour les affaiblir durablement. Nous verrons ensemble que certains pays ont mis en place des coopérations entre acteurs publics et acteurs privés particulièrement fructueuses.
Enfin, nous en viendrons aux actions qui peuvent être directement diligentées à l’encontre des sites et services pirates eux-mêmes afin d’obtenir, in fine, qu’ils soient fermés ou que leur accès soit bloqué ou encore qu’ils soient déréférencés des moteurs de recherche. L’examen des procédures permettant de telles issues pose avec force la question de l’implication de l’Autorité publique dans ces démarches.
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Je finirai mon propos en indiquant combien nous avons, face à nos sujets, le plus grand intérêt à avoir une approche internationale concertée. Internet est un réseau mondial, qui ne connait pas de frontières, et pour lutter contre les phénomènes illégaux qui dénature sa vocation et qui ont eux-mêmes une dimension transnationale, nous devons agir ensemble.
Je souhaite que nous puissions, au-delà du réseau de contacts qui a pu être noué au fil des années par l’Hadopi grâce aux déplacements de nos équipes à l’étranger ou à l’accueil de nos homologues en France, aller plus loin dans la coopération de nos différentes institutions. Qu’il me soit permis ici de lancer l’idée que soient pérennisées des rencontres annuelles qui nous donneraient l’opportunité d’échanger sur la manière de relever au mieux les défis de ce fléau mondialisé qu’est le piratage sur internet.
Aujourd’hui, c’est à nos échanges de permettre dans un premier temps une meilleure compréhension des modèles existants, pour pouvoir, dans un second temps, avancer sur la voie d’une coopération internationale plus fructueuse pour faire d’Internet, non plus un obstacle ou une menace, mais une chance pour la création.
Je vous remercie.