Une centaine d’entreprises dont Apple, Adidas, Microsoft, Sanofi ou encore Volkswagen ont écrit mercredi au Commissaire européen, lui demandant de couper l’herbe sous le pied des « patents troll », ces groupes ayant pour seule activité l’achat massif de brevets à des fins de poursuites judiciaires.
Par Lucas Mediavilla, Publié le 16 janv. 2020 à 17h47, Mis à jour le 16 janv. 2020 à 18h05
Apple, Microsoft, Sanofi, Volkswagen ou encore Adidas… la liste des signataires est éloquente. Près de 150 entreprises dont une trentaine de grands groupes industriels et technologiques, tentent de profiter du changement de législature à Bruxelles pour chasser les « patent trolls » du marché unique.
Connus en français sous le nom de « chasseurs de brevets », il s’agit de petites sociétés privées, généralement composées d’une armée de juristes et d’avocats et dont la seule activité consiste en l’achat massif de brevets qu’elles n’exploitent pour la production d’aucun bien ou service, mais à des fins de poursuites judiciaires contre des entreprises les utilisant.
Opérant de façon discrète, elles sont parfois traînées en justice par les grands groupes industriels, comme le rappelait Reuters il y a quelques mois. C’est le cas, par exemple, du Fortress Investment Group, une entreprise détenue par Softbank et assignée fin novembre devant un tribunal californien de la concurrence par Apple et Intel.
Les deux groupes lui reprochaient alors de stocker un portefeuille de brevets dans le seul but de les poursuivre (25 plaintes ont été déposées contre le fabricant de l’iPhone, les dommages et intérêts demandés se chiffrant à 5,1 milliards de dollars), sans que Fortress n’ait jamais produit un seul bien électronique.
Explosion des contentieux
Dans une lettre envoyée mercredi à Thierry Breton, nouveau Commissaire européen au Marché Intérieur , ces 150 groupes demandent à l’ancien patron de France Télécom de couper l’herbe sous le pied de ces « patent trolls », qui ont proliféré ces dernières années sous le poids de l’inflation des dépôts de brevets et la digitalisation de l’économie.
« À l’ère numérique, les produits sont de plus en plus complexes, souvent couverts par des milliers de brevets, ce qui les rend constamment sujets à des litiges », explique dans cette lettre le groupement d’entreprise réunie au sein du lobby européen IP2Innovate. Il y a un peu plus de trois ans, Mozilla chiffrait par exemple à 250.000, le nombre de brevets nécessaires à la production d’un smartphone.
L’inflation des litiges, elle, est une réalité observable en Europe et notamment depuis l’adoption aux Etats-Unis de mesures restreignant le champ d’action de ces « patent trolls ». Selon un rapport de l’analyste Darts-ip, spécialisé dans les contentieux de propriété intellectuelle, le nombre des litiges liés à ce type d’acteurs a progressé de près de 20 % chaque année entre 2007 et 2017 en Europe, atteignant les 190 litiges cette année-là.
« C’est la phase émergée de l’iceberg, ajoute aux ‘Echos’ Patrick Oliver, le directeur de IP2Innovate. Il est très difficile d’obtenir des données de la part des entreprises, qui n’aiment pas parler de ce type de contentieux. Beaucoup d’entreprises et notamment des PME, préfèrent négocier directement avec ces acteurs, le litige passant dès lors sous le radar. »
Demande de proportionnalité des jugements
Pour ce groupement d’entreprises, les « patent trolls » sont un frein à l’innovation, entravant le processus de mise sur le marché de nouveaux produits. D’autant que les juges européens ont tendance à juger sévèrement une infraction au droit de la propriété intellectuelle. « Un constructeur automobile comme BMW peut se voir interdire le lancement d’un modèle ou enjoint à payer une lourde demande de dommages et intérêts aux trolls, alors qu’il a juste enfreint un brevet sur les dizaines de milliers que compte une voiture », poursuit Patrick Oliver.
« Les retraits injustifiés de produits peuvent faire sombrer une entreprise. Ils privent également le public du choix des consommateurs », explique l’IP2Innovate dans un communiqué. L’organisation demande l’application d’un principe de proportionnalité, prévue par le droit communautaire depuis novembre 2017, mais jamais appliquée dans les faits.
Celle-ci permettrait au juge d’apprécier de façon plus équitable une infraction au droit de la propriété intellectuelle, en prenant en compte des facteurs comme la typologie du brevet et celui que le détient, l’impact de ce dernier dans la confection du produit ou encore l’avantage qu’il crée sur le marché.