Vingt-six personnes sont jugées depuis ce lundi et jusqu’en décembre pour avoir écoulé des centaines de sacs Hermès, fabriqués avec un niveau de qualité identique aux originaux.
Le Parisien / Par Nicolas Jacquard / Le 9 novembre 2020 à 20h22
C’est un procès international. A plus d’un titre. D’abord parce que plusieurs de ses principaux protagonistes – Covid oblige – se sont fait porter pâles. Ils se trouvent en Chine ou en Australie, et pourraient être entendus en visioconférence. Surtout, cette petite trentaine de prévenus comparaissait, ce lundi et jusqu’au 10 décembre, pour avoir monté une filière de contrefaçon de sacs Hermès dont la mondialisation n’avait rien à envier à celle de la « maison mère. »
Ces sacs, essentiellement des Birkin, le modèle le plus luxueux du célèbre sellier français, avaient la particularité d’être au moins aussi vrais que les originaux. Et pour cause : de 2008 à 2012, selon la période retenue par la justice, ils ont été réalisés par des ouvriers ou ex-ouvriers d’Hermès, avec des peaux fournies en sous-main par l’une de ses filiales, et grâce à des sous-traitants d’Hermès qui arrondissaient leur fin de mois en travaillant avec ces vrais-faux artisans.
Dans la salle du tribunal de Paris, l’une des plus grandes et jusque-là dédiée au procès Charlie Hebdo, s’alignent ainsi des hommes et des femmes de tous âges. Parmi les plus impliqués, seul Daniel K., le financier à l’origine de la filière, est présent. Les autres sont des petites mains, chargées du découpage des peaux, poursuivies pour avoir sorti des ateliers d’Hermès des outils indispensables à la conception des sacs, ou avoir œuvré à la logistique de ce clone clandestin du fleuron de l’artisanat de luxe.
De l’abus de bien social à la contrefaçon en passant par l’association de malfaiteurs, il a bien fallu une demi-heure à la présidente pour égrener la liste des chefs de poursuite pour chacun des prévenus. Ceci étant posé, le tribunal s’est ensuite penché sur une batterie de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). La plus cruciale : y a-t-il contrefaçon au regard des difficultés à dessiner les contours de ce qu’est une œuvre originale, en l’occurrence le sac Birkin, crée en 1984 par Hermès.
18 millions de Birkin écoulés
A l’appui de sa démonstration, Me Alexandre Lazarègue, avocat de Romain C.R., qui a mis sur pied la filière pour sa partie opérationnelle, brandit les photos de deux modèles de sacs, en apparence identiques : un Birkin, et un modèle plus ancien d’Hermès, aujourd’hui libre de droits. Pour l’avocat, se revendiquer de la protection du droit d’auteur pour « une œuvre aussi floue » est en contradiction avec la libre concurrence. Des arguments balayés par les avocats d’Hermès, qui ne voient dans cette démarche qu’« un écran de fumée ».
Le tribunal tranchera la question ce mardi à la reprise de l’audience. En cas de réponse négative, les débats se poursuivront sur le fond. Et c’est donc Daniel K., le premier, qui sera interrogé. Spécialiste de l’import-export, ce chef d’entreprise d’Asnières (Hauts-de-Seine) fournissait les peaux de crocodiles qu’il allait chercher en Italie. A son domicile – une villa estimée à 1,3 million d’euros – avaient été retrouvés pour 350 000 euros d’objets de luxe, dont des montres de grande valeur.
Lui, assurait en garde à vue, qu’il n’avait fait que se greffer « sur un système existant. » Un système qui était parvenu, essentiellement en Chine et en Russie, à écouler au moins pour 18 millions de Birkin, vendus plusieurs dizaines de milliers d’euros pièce. Lorsqu’un acheteur méfiant en avait fait examiner un dans une boutique de la marque, les spécialistes d’Hermès n’y avaient vu que du feu, le rassurant sur le fait qu’il s’agissait d’un modèle original à la fabrication parfaite.