Le 23 octobre, le Sénat a adopté le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice ainsi que le projet de loi organique relatif au renforcement de l’organisation des juridictions.
Le projet de loi de programmation prévoit notamment une extension de la possibilité de recourir à l’enquête sous pseudonyme « à tous les crimes et aux délits punis d’une peine d’emprisonnement lorsque ces infractions sont commises par un moyen de communication électronique » (article 28). Grâce à cette disposition, les officiers et agents de police judiciaire de la gendarmerie nationale pourront, à l’instar des douaniers, procéder à des « coups d’achat » dans le cadre de la lutte anti-contrefaçon. Concrètement, ils pourront acquérir, par le biais d’Internet, une certaine quantité de produits soupçonnés de constituer des contrefaçons afin de vérifier si la contrefaçon est ou non avérée. Ces actes pourront être effectués par des enquêteurs qui, d’une part, auront été habilités par le procureur général près la cour d’appel dans le ressort de laquelle ils exercent habituellement leurs fonctions et, d’autre part, auront suivi une formation spécifique. Je me réjouis de cette disposition.
En revanche, je regrette que le Sénat n’ait pas adopté mes trois amendements relatifs au contentieux de la propriété intellectuelle.
Mon premier amendement visait à concrétiser une recommandation que mon ancien collègue Laurent Béteille et moi avions formulée en 2011 dans un rapport d’information sur l’évaluation de la loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon. Cette loi avait marqué une étape très importante dans la spécialisation des juridictions civiles en matière de propriété intellectuelle. À l’initiative du Sénat, elle avait notamment renvoyé au pouvoir réglementaire le soin de confier une compétence exclusive à certains tribunaux. Le TGI de Paris est ainsi seul compétent pour les brevets d’invention, les certificats d’utilité, les certificats complémentaires de protection et les topographies de produits semi-conducteurs. Par ailleurs, dix TGI, dont celui de Paris, connaissent des actions relatives aux autres titres de propriété intellectuelle.
Cette concentration des compétences présente de nombreux avantages. Non seulement elle améliore le fonctionnement de l’institution judiciaire, mais elle est aussi un élément essentiel du rayonnement international du droit français et de l’attractivité juridique du territoire français, dans un contexte de forte concurrence des systèmes juridiques nationaux.
Il ressort de l’analyse du volume des dossiers traités par chacun des dix TGI spécialisés que cinq TGI traitent moins de 5% du contentieux de la propriété intellectuelle. Cette situation n’est pas satisfaisante au regard de la technicité du contentieux concerné et de l’impérieuse nécessité d’assurer une justice de qualité.
Afin d’y remédier, j’ai proposé de réduire de moitié le nombre de TGI pouvant être désignés pour connaître des actions en matière de marques, de dessins et modèles, d’indications géographiques, d’obtentions végétales et de propriété littéraire et artistique. Ce renforcement de la spécialisation des juridictions civiles permettrait notamment d’harmoniser la jurisprudence.
Pour ce qui concerne le contentieux marginal des obtentions végétales, j’ai proposé de le confier au seul TGI de Paris. Le nombre minimal de TGI spécialisés en matière d’obtentions végétales a certes été supprimé du code de la propriété intellectuelle en 2011. Cependant, le tableau V annexé à l’article D. 211-5 du code de l’organisation judiciaire indique que dix TGI sont toujours compétents pour connaître des actions en matière d’obtentions végétales. Cela n’est pas raisonnable lorsque l’on sait que ce contentieux représente en moyenne une dizaine d’affaires par an.
La garde des sceaux, Nicole Belloubet, a été « sensible » à cet amendement, qui va dans le sens de la réforme qu’elle porte, à savoir « la recherche d’une spécialisation pour des contentieux techniques et de volumétrie relativement faible ». Cependant, elle a considéré que « les dispositions proposées relèvent du domaine réglementaire, et non du domaine de la loi ».
Mon deuxième amendement visait à concrétiser une autre recommandation de mon rapport d’information de 2011. Il partait du constat de l’insuffisance de la réponse pénale au phénomène de la contrefaçon ordinaire, c’est-à-dire les délits de contrefaçon autres que ceux présentant une grande complexité. Les juridictions répressives se voient reprocher leur manque de fermeté, tant sur les sanctions pénales que sur les indemnisations civiles.
Cette timidité de la réponse pénale s’explique notamment par l’absence de spécialisation des juridictions répressives. Elle est par ailleurs la principale raison pour laquelle les juridictions répressives sont peu saisies d’atteintes aux droits de la propriété intellectuelle.
Afin de remédier à cette situation préjudiciable aux titulaires de droits, j’ai proposé de confier à cinq tribunaux correctionnels une compétence exclusive pour les dossiers « simples » de contrefaçon.
En revanche, je n’ai pas proposé pas de modifier le traitement pénal des affaires de contrefaçon présentant une grande complexité. Ces affaires relèvent de la compétence des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), conformément à l’article 704 du code de procédure pénale.
Par ailleurs, j’ai plaidé pour la création, au sein des juridictions spécialisées, d’une chambre mixte de propriété intellectuelle associant des magistrats civilistes et pénalistes. Une telle initiative permettrait, selon moi, une amélioration du dialogue des juges ainsi qu’une harmonisation des montants d’indemnisation des titulaires de droits.
Quant à mon troisième amendement, il visait à obliger le Gouvernement à remettre au Parlement un rapport évaluant la possibilité de créer un tribunal de la propriété intellectuelle pour les entreprises, en vue de faciliter l’accès à la justice des petites et moyennes entreprises (PME) et de simplifier le règlement des petits litiges ayant trait à la propriété intellectuelle.
Certains titulaires de droits de propriété intellectuelle – à commencer par les PME – sont actuellement dissuadés de saisir la justice en raison, d’une part, de coûts de procédure disproportionnés par rapport au montant de la demande et, d’autre part, de délais de jugement trop longs.
Afin de lever ces obstacles, j’ai proposé d’étudier la possibilité de créer une juridiction spécialisée, sur le modèle de celle mise en place au Royaume-Uni. Cette dernière, dénommée IPEC, a été créée en 2013. Elle met en œuvre deux procédures simplifiées: l’une est destinée aux PME, l’autre s’applique aux petits litiges. Le montant maximal des coûts de procédure et des dommages et intérêts est plafonné. Les délais de jugement sont, par ailleurs, strictement encadrés. Chaque année, environ 400 affaires sont traitées dans le cadre des deux procédures. Un rapport d’évaluation publié en 2015 montre que la mise en place de l’IPEC a porté ses fruits et instillé une nouvelle culture juridique, dont il conviendrait de s’inspirer.